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Tutoriel : Photo proxi nature à "ambiance"

Je me décide à reprendre la plume pour tenter de transmettre quelques secrets de fabrication qui se cachent derrière les clichés de proxi nature que vous voyez souvent sur les magazines, forums, groupes Facebook... Loin de moi l'idée de prétendre être au niveau des clichés devant lesquels je rêve comme vous mais globalement, le matériel et les techniques sont accessibles à tous. Seuls ensuite le talent, l'oeil et la sensibilité font le reste. Cela dit, si votre ambition est comme moi de produire quelques images agréables en passant du temps dans la nature : voici une partie de ce que j'ai pu apprendre jusqu'à maintenant !
Ce tutoriel est axé sur un type d'image proxi bien précis : des sujets nature (j'utilise les mêmes "trucs" pour certains portraits) assez prôches avec un bokeh (flou) travaillé, qui fasse ressortir le sujet au mieux.

L'image

 
Voici la modeste image réalisée pour ce tutoriel proxi : une epipactis des marais, orchidée magnifique de zone humide.

 

Le matériel

Vous aurez besoin de peu de matériel, dont la qualité est à adapter à votre budget.
- Un boitier numérique : un compact ou un bridge peuvent faire le boulot mais un boitier à objectif interchangeable est plus polyvalent (hybride ou relfex) ; il permettra notamment de choisir le bon objectif. Les capteurs APS-C permettent des transistions entre les zones de flou et de net plus abruptes, cela a un avantage : le sujet est plus facile à isoler dans un environnement complexe. Par contre un capteur plein format qui lui offre des transitions plus douces sera plus difficile à mettre en oeuvre mais pourra offrir des bokeh plus riches et plus texturés.
- Un objectif adapté : un vrai objectif macro (c'est à dire construit pour offrir une grande netteté sur des sujets proches et utilisables à des distances de mise au point faibles) n'est pas obligatoire. Pour ce tutoriel, je conseille une focale assez longue d'au moins 85/90mm. Sur plein format, un objectif de 100 à 200 voire 300mm est conseillé : il permet de ne pas trop s'approcher du sujet et de choisir l'angle de vue avec beaucoup de liberté. Sur APS-C, on peut se contenter d'un bon 85mm de portrait ou d'un 90/100/135mm f/2.8. L'ouverture est importante : il est difficile de travailler le bokeh et d'isoler le sujet dans une image d'ambiance avec un objectif qui n'ouvre pas au moins à 2.8. C'est d'ailleurs mon ouverture native préférée : un objectif capable d'un très bon piqué à pleine ouverture de f/2.8 permet d'avoir la plupart des sujets nature nets en entier dans leur environnement (papillon, fleur, libellule...) sans avoir à fermer le diaphragme pour avoir assez de profondeur de champs et en obtenant tout de même un flou important devant et derrière le sujet. Un pare soleil est aussi fortement recommandé.
- Un bean bag et un trepieds : j'utilise le plus souvent l'appareil à main levée ou posé par terre, sur ma chaussure ou la cuisse mais il est utile d'avoir quelque chose (un bean bag : sac de graine, un bonnet, un vieux t-shirt...) de modulable pour poser et bouger le boitier sur le sol. Sur les sujets plus hauts, il est souvent obligatoire d'utiliser un trépieds : il faut qu'il soit utilisable très bas (ou disposant d'un bras)  et assez bien conçu pour bouger facilement. La position de l'appareil photo pour la prise de vue peut parfois se jouer à quelques millimètres, si votre pieds n'est pas ergonomique, vous serez vite tenter de le laisse de côté.
Et éventuellement...
- Un réflecteur : bricolé avec un plaque brillante, un protège pare brise ou acheté. Cela fait partie des accessoires photo que souvent les débutants oublient mais c'est un élement ultra utile : pour déboucher le sujet bien sûr mais aussi pour masquer un élément du lieu, pour faire au contraire de l'ombre...
- Un flash : je n'en utilise jamais mais si votre technique est assez avancée et/ou que vous voulez ajouter un style différent en éclarant le fond, le sujet, un élément de la scène, n'hésitez pas.
- Une poignée verticale : vous allez souvent vous retrouver dans des positions impossibles, une bonne ergonomie pour votre boitier est indispensable. Aussi pour les prises de vue en portrait (vertical), un grip qui permet une bonne prise en main devient vite un confort non négligeable. De plus sur les hybrides pour lesquels vous allez beaucoup vous servir de l'écran pour la mise au point, une autonomie plus importante ne sera pas un luxe...


Boitier plein format Sony Alpha 7  (A7), objectifs macro 1:1 Vivitar 100mm f/2.8 (usine Kiron) et Vivitar 90mm f/2.5 (usine Komine), objectif Olympus Zuiko 135mm f/2.8, réflecteurs fabriqués en plaques de métal, coussin bean bag maison

L'approche

Voici mon approche de la photo proxi nature, à chacun de trouver sa voie même si certains aspects devraient être universels. Je cherche à mettre en valeur un élément naturel, une fleur ou un animal dans son environnement en jouant avec les éléments autour pour créer des matières intéressantes dans le bokeh.
- Le terme bokeh vient d'un mot japonais, boke (ぼけ), qui signifie flou : c'est un terme à la mode qui désigne les flous d'avant et d'arrière plan sur une photo. Personnellement, je ne cherche pas de flous uniformes : j'essaie au contraire d'avoir des textures riches, colorées et variées.
- Je ne modifie pas ou peu la scène de prise de vue et cela fait partie de l'éthique que tous les photographes devraient avoir. J'ai beaucoup réflechi à cette démarche, j'ai parfois été trop loin je pense et maintenant je me fixe les limites que je trouve importantes.
      Ne pas déplacer les animaux : les papillons, libellules et autres insectes sont facilement manipulables le matin et le soir. Il est tentant de les déplacer sur le bonne tige, sur la bonne fleur. Il ne faut pas, les risques de les blesser sont importants, on peut les exposer à des prédateurs et c'est tout simplement peu respectueux pour "eux". Prendre une image en se permettant de prendre un insecte pour le poser où l'on veut n'a plus de sens naturaliste ; soyons avant tout des amoureux de la nature, des observateurs avant des photographes.
      Ne pas écraser, couper, casser et encore moins arracher : il arrive toujours qu'il y ai une herbe mal placée, une fleur en trop ou une tige inesthétique, il faut absolument limiter au maximum toute intervention sur le terrain. Une plante arrachée ne repousse pas, certaines espèces comme les orchidées dont il sera sujet ici sont même dépendantes de leur environnement, modifier l'entourage proche mets carrément en péril la plante photographiée. Je vais peut être briser un tabou : il m'arrive de couper une herbe, une graminée, une tige morte, de nettoyer une zone de ses branchettes ou feuilles mortes. Je pense que cela n'a aucun impact par rapport au simple fait de se balader sur une prairie, par contre encore une fois, il faut trouver le bon équilibre : ne jamais arracher, dans 99% des cas on peut même juste coucher les tiges sans les abimer et faire très attention à l'écrasement de la zone de prise de vue. Encore une fois concernant les orchidées dont la biologie est très complexe : on évite de modifier quoi que ce soit, y compris couper quelques herbes...c'est valable pour quelques autres espèces de fleurs sensibles.
      Ne pas modifier la zone : on utlise les lieux, on ne bouge pas les éléments naturels du coin, il y a suffisament de possibilités de prises de vue pour ne pas avoir à bouger quoi que ce soit. Un tronc couché, une branche morte sont des lieux de vie pour de nombreux organismes, il vaut mieux les laisser en place.
- J'essaie de montrer l'environnement dans lequel la fleur ou l'insecte évolue, en prenant une image assez large pour qu'il soit mis en valeur de manière artistique.
- Je cherche les couleurs qui peuvent mettre en valeur la scène de manière originale : cherchez les fleurs intéressantes autour du sujet, l'arbre au feuillage un peu différent, un groupe de graminées, une flaque d'eau....tout ce qui peut apporter couleur et flou intéressant est à chercher.

Chercher le bon specimen

Voici la zone concernée par ce tuto : un ancien terrain de moto-cross, devenu zone sauvage depuis plusieures années, en partie humide, sèche, en cours de reboisement sauvage. Le but de la séance : 2 orchidées en fleur du moment, l'epipactis des marais et l'orchis moucheron.
Comme dans beaucoup d'endroits, c'est un cauchemar pour la photographie : herbes hautes partout, buissons, sousbois inaccessibles. Et en même temps un paradis, excatement pour les mêmes raisons. Il va falloir chercher...

Trouver la bonne photo, c'est avant tout se promener, doucement et être attentif à tout. Ici j'avais une idée précise mais le plus souvent les photographes sont opportunistes. Il faut regarder, changer de point de vue, observer de loin les mouvements des papillons, des libellules. Cette fois je suis à la recherche du bon individu de fleur : elle doit être assez isolée, dans un environnement qui permet les flous devant et derrière, orientée face ou 3/4 par rapport au soleil ou à l'ombre. Il ne faut pas hésiter à faire des tests d'images rapides : cela permet de voir tout de suite si le fond marche, s'il y a un potentiel.

Voici après plus d'1 heure de recherche et de tests la fleur à potentiel. Oui, n'espérez pas réaliser l'image de vos rêves sans beaucoup de patience. Ne vous faites pas d'illusions quand vous regardez une belle image sur un magazine, elle a demandé énormément de patience, de travail, d'expérience...c'est une seule image sur des milliers d'essais. Etant avant tout naturaliste, je prends ce temps avec plaisir pour tout observer, décrouvrir, connaitre...
Ici tous les éléments me semblent réunis : des roseaux pour créer un fond sympa (en vert), une fleur facile à isoler (en rouge) et un élément indispensable : de la matière au travers de laquelle on va prendre le sujet pour floutter naturellement les zones voulues de l'image (en bleu).

C'est en effet l'un des éléments qui fait la plupart des images nature que vous voyez partout : la photo est prise avec un élément de fond primordial mais aussi au travers d'autres éléments qui vont créer de la matière floue et/ou colorée. Quelques photographes utilisent le post traitement pour modifier en profondeur les zones de flous et isoler le sujet, la plupart des bons photographes préfèrent utiliser le terrain pour mettre en valeur l'image.

La prise vue



Voici donc mon boitier installé dans le buisson à 3m environ de notre epipactis des marais. J'ai pris soin qu'il n'y ai pas d'autres pieds susceptibles d'être écrasés et j'ai simplement écarté les branches pour trouver le bon angle (là encore, une bonne trentaine de minutes d'essais divers...). J'ai ici un boitier plein format avec un 100mm Vivitar qui ouvre à 2.8 et que je vais utiliser à pleine ouverture. Selon votre matériel, il faut chercher le bon angle et la bonne distance en surveillant l'effet sur le bokeh de fond, le bokeh de premier plan et les éléments au niveau du sujet. Une plus grande focale comme un 200mm ou 300mm va vous permettre d'avoir un peu plus de souplesse dans le choix de l'endroit de prise de vue. Le sujet sera très vite isolé et il sera assez facile de trouver les bons éléments à mettre entre le sujet et l'objectif. Il faut avoir en tête que même à un grande ouverture, tous les éléments qui seront sur le même plan (à la même distance de l'objectif) que le sujet seront nets aussi. Quand vous préparez la zone (avec respect donc), cherchez tous les éléments qui vont se retrouver sur cette ligne de netteté. Avec une focale courte comme un 50/60mm, cela peut représenter beaucoup d'éléments disgracieux qu'il faudra floutter. Dans ce cas, cherchez un élément de premier plan complexe comme un buisson bien fourni. Dans tous les cas, chercher un élément de premier plan disposant de petits éléments : ce sera plus joli et efficace de floutter l'image avec des petites feuilles, des tiges fines qu'avec des grosses feuilles pleines. En utilisant des éléments cisellés et fins, on peut même obtenir des effets intéressants dans les reflets spéculaires (bulles dans le bokeh).

Je vais utiliser les petites feuilles du buisson presque collées à l'objectif pour floutter le dessous de la fleur, les herbes entre ma position et l'épipactis vont servir à adoucir le reste du bas de l'image pour que seule la fleur ressorte. Pour ce genre d'image, on est souvent au raz du sol...si le sujet est plus haut, il faudra le trepieds et chercher un buisson, des fougères, un bouquet de fleurs ou de graminées pour faire la même chose et prendre le sujet "au travers". Il est aussi possible de ceuillir quelques éléments de feuillages et de les placer manuellement devant l'objectif pour floutter une zone : c'est un des trucs que peu de photographes vont avouer...attention bien sûr à ne pas ceuillir n'importe quoi et n'importe où. Encore une fois, on peut se permettre de ceuillir un peu de trefle, quelques feuilles mais il faut avoir la connaissance de ce qui est fragile, protégé, ce qui risque de mourrir abimé etc.

Le traitement

J'utilise indifférement le module de développement RAW de Photoshop Camera Raw ou Lightroom. Les outils sont très similaire voire identiques et il est très facile de jongler entre les deux. Je ne fais rien sous Photoshop ensuite à part ajouter le cadre. Il existe des logiciels extraordinaires de développement raw gratuit comme Raw Therapee ou Dark Table : vous trouverez les mêmes outils et principes dessus.


Voici l'image brute sélectionnée, elle n'est pas parfaite, une zone trop sombre en bas à droite, un bokeh qui aurait pu être plus riche grâce aux roseaux mais j'ai été interrompu par la pluie, toutes les autres avaient d'autre défauts plus durs à corriger...ça ira ! Comme vous le voyez, l'image est déjà quasi prête dès la prise de vue, il faut y passer du temps : s'il y a trop de post traitement à faire, c'est à mon avis que l'image n'est pas bonne.

Tout d'abord, je gère la netteté et la réduction du bruit avec une image à 100%. N'hésitez pas à partir du haut pour ajuster chaque élément et vous pouvez bouger les curseurs tout en appuyant sur la touche option (mac) pour faire apparaitre les changements en mode noir et blanc / mode de contrôle.

Ensuite je gère les zones : sur cette image seules deux sont à gérer, le sujet, et le reste assez homogène de l'image. Pour le sujet j'ai augmenté la clarté (une sorte de contraste positif ou négatif qui fait ressortir les éléments ou au contraire les adoucir), un peu la netteté et faiblement ajusté les niveaux de blanc/noir/fonçé/clair. Pour la zone extérieure au sujet, j'ai ajouté un autre outil progressif avec un léger changement de couleur vers un ton plus bleu et une légère augmentation du contraste en jouant sur les tons.

J'ai ensuite utilisé un pinceau pour adoucir franchement certaines zones désagréables de netteté mal venues : netteté et clarté au minimum. J'utilise très peu cette façon de faire, encore une fois, il est assez facile de créer du flou naturellement.

Ensuite il m'arrive de modifier les couleurs de l'image comme ici pour donner une ambiance plus aquatique à l'image en virant les tons clairs vers le violet et les tons fonçés vers le bleu (virage partiel). Attention à garder des couleurs qui restent dans le domaine du naturel...

Enfin je reviens vers les réglages globaux de l'image pour ajuster le rendu global et final : ici principalement quelques ajustements de courbe (donc les différents tons clairs et fonçés), la clarté pour faire encore ressortir les roseaux du bokeh, l'exposition globale et à nouveau la température de l'image pour encore aller vers une tonalité plus bleuté.
Je ne sais pas si mon processus de traitement est orthodoxe mais je préfère travailler comme cela : d'abord gérer le sujet, puis le bokeh, puis le rendu global de l'image et enfin son exposition globale. Comme vous pouvez le voir, je n'ai rien effacé en post traitement et c'est le cas de toutes mes images, le plus gros de travail se fait à la prise de vue : je trouve cette façon de faire de la photo nature satisafaisante d'un point de vue éthique et justement naturaliste. Ici les éléments de premier plan m'ont permis de faire sortir la fleur du flou, les feuillages ont un peu estompé les roseaux du fond tout en laissant bien comprendre l'environnement de la plante.

Voici la page de l'objectif utilisé pour cette image : un objectif construit au Japon par une des usines fournissant Vivitar. C'est l'un des rares modèles vintage toujours conseillé pour les images macro avec un bokeh exceptionnel : on le trouve sous différents noms, Vivitar 100mm f/2.8, Lester a. Dine 105mm, Kiron 105mm. Dans la liste des objectifs qui ressortent systématiquement dans les conseils d'achats (dans les prix abordables, - de 300/400€), on peux aussi citer le 100mm macro Canon FD (mais f/4...), le célèbre Tokina 90mm AT-X f/2.5, le Vivitar 135mm f/2.8 Close focus et l'abordable Tamron SP 90mm f/2.8...Si votre budget n'a pas de limite, vous pouvez viser les grands classiques notamment de la série Lanthar de Voigtlander ou dans les nouveaux Laowa. Vous pouvez aussi chercher dans les objectifs modernes mais pour moi, les formules modernes manquent un peu de charme dans le bokeh, tout me semble (c'est mon oeil, mon avis personnel) haché, beaucoup trop travaillé par le nombre de lentilles et la complexité de la formule. Pour le prix d'une série L Canon, je préfère sans hésiter me payer 2 ou 3 excellents cailloux manuels et aller boire une bière en rentrant d'une longue journée sur le terrain !